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Guerre éco. & sécurité

Le smart power

Le smart power, le pouvoir ou la puissance de l’intelligence si on traduit littéralement l’expression, est la nouvelle doctrine de l’administration Obama principalement pour les affaires étrangères et par extension certainement pour la politique économique. Mais que signifie ce nouveau concept prôné par la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton et utilisé à de nombreuses reprises (plus d’une dizaine de fois) lors de son discours de confirmation devant la commission du Sénat[1] ?

Pour la nouvelle administration américaine, le smart power se veut être la synthèse de deux autres doctrines politiques que l’on oppose généralement aussi bien dans la théorie que dans la pratique : le hard power (puissance dure ou coercitive) et le soft power (puissance douce). Le hard power se rapproche fortement des théories et pratiques réalistes dans les relations internationales. Il consiste à utiliser différents moyens militaires et économiques pour faire en sorte que l’organisation visée change sa position ou son comportement. A ce titre, cette méthode peut aisément se comparer à celle du bâton et de la carotte. Inutile de préciser que cette vision des relations internationales a largement été utilisée par le gouvernement Bush notamment avec les guerres en Afghanistan et en Irak. Le principal problème de cette notion est que le pays l’appliquant doit maintenir un budget militaire très élevé mais aussi que le risque de perdre de la crédibilité auprès de la communauté internationale est important.

La théorie du soft power[2] conceptualisée par Joseph Nye au début des années 1990 est la méthode inverse du hard power. Elle part du principe qu’il est possible pour une organisation (Etat, ONG, entreprises…) de changer la position ou le comportement d’une autre organisation en la séduisant et en la persuadant. Le soft power inclut également des outils tels que le social learning et le perception management[3] qui cherchent à formater culturellement et socialement les membres d’une organisation pour que leurs intérêts coïncident avec ceux de l’organisation mettant en place ces outils. Contrairement au hard power, on évite la coercition pour privilégier l’influence indirecte. Le soft power repose donc sur des éléments comme la culture « populaire » (musique, cinéma, sport), les valeurs, les institutions, l’image, le rayonnement scientifique ou encore le rôle au sein des institutions internationales. Ainsi, pour les Etats-Unis, les fers de lance de cette politique sont Hollywood, McDonald’s ou encore Harvard.

Le smart power est donc la réunion des outils du hard power et du soft power. Comme le rappelle bien Jacques Charmelot[4], « smart » est un terme qui ne signifie pas simplement « intelligent ». On l’utilise également pour désigner quelque chose de rusé, d’astucieux ou d’ingénieux. Le smart power se définirait donc comme la combinaison astucieuse du hard et du soft power, méthodes qui, séparées, n’ont jamais fait leurs preuves. Joseph Nye avoue d’ailleurs les limites pratiques de son concept et approuve cette combinaison intelligente : « L’Amérique doit mélanger le pouvoir dur et soft en un “pouvoir intelligent”, comme il le faisait pendant la Guerre Froide. »[5]

Comme le souligne justement Joseph Nye, le smart power n’a absolument rien de nouveau. De nombreux présidents, généralement démocrates comme H.Truman, J.F.Kennedy et B.Clinton, en usaient pendant et après la Guerre Froide mais huit années de présidence Bush ont certainement fait oublier aux intellectuels cette pratique des relations internationales. Mais même si la pratique n’est pas nouvelle, le concept l’est. Si Hillary Clinton en est la célèbre porte-parole, le smart power a été remis au goût du jour par Suzanne Nossel[6], d’abord diplomate à l’ONU et maintenant responsable des opérations chez Human Rights Watch.

Dans un article paru en 2004 dans la revue Foreign Policy, Nossel prône le retour au principe wilsonien et onusien de l’internationalisme libéral qui postule que les démocraties et les économies de marché ne se font pas la guerre. Elle souhaite que Washington revienne en force sur la scène internationale pour promouvoir « l’autodétermination, les droits de l’Homme, l’état de droit, la liberté des échanges, l’aide au développement économique, l’isolement et l’élimination des dictatures et des arsenaux d’armes de destruction de masse »[7] aussi bien grâce à la diplomatie et au soft power (aides économiques et diffusion des valeurs) qu’au hard power (utilisation de la force militaire). On note donc de légères différences entre l’approche Clinton plus pragmatique et expérimentée et celle de Nossel beaucoup plus idéaliste.

Le discours d’investiture de B.Obama avait annoncé la couleur : les USA sont de nouveau prêts à diriger (le monde). Du point de vue de la politique étrangère, le smart power marque donc le retour de la diplomatie américaine, largement délaissée sous l’administration Bush, avec une présence accrue au sein des réunions internationales. Mais comme le montre bien le titre d’un récent article du Figaro[8], cette nouvelle diplomatie tend à osciller toujours « entre ouverture et fermeté ». D’un côté, on recommence à discuter avec des nations ennemies (Cuba, Iran, Venezuela…). De l’autre côté, on se montre très ferme sur certains principes et on n’hésite pas à brandir la menace de sanctions. Cette stratégie a rapidement été mise en place avec succès lors des violences de début 2009 à Gaza, lors du sommet de l’OTAN à Strasbourg ou encore pendant le sommet des Amériques qui, pour la presse « marque l’émergence de la doctrine Obama »[9].

Du point de vue économique et plus particulièrement de l’Intelligence économique, les entreprises européennes vont devoir rapidement prendre le pas de cette nouvelle donne car le retour aux affaires des USA ne se fera pas uniquement au niveau de la politique étrangère mais aussi au niveau des entreprises. On peut s’attendre à un durcissement de la guerre économique d’autant plus que les gouvernements démocrates se montrent souvent plus offensifs que ceux républicains dans ce domaine. Il va donc falloir que les gouvernements et entreprises européens se montrent particulièrement vigilants et intelligents pour ne pas se laisser submerger par ce retour des USA au premier plan.

En guise de conclusion, on peut souligner les ressemblances entre les concepts de smart power et d’Intelligence économique. L’un comme l’autre sont nés assez récemment alors que leurs pratiques sont beaucoup plus anciennes. L’un comme l’autre se situent (ou devraient se situer) au niveau stratégique de l’organisation que cela soit un Etat ou une entreprise. L’un comme l’autre prônent le développement de l’organisation en mettant en avant la coopération et éventuellement le partage des informations tout en gardant la possibilité d’utiliser des armes offensives. Enfin, les deux affichent le même état d’esprit en tentant de rassembler des pratiques et des outils que l’on oppose ou du moins que l’on n’associe pas en règle générale.

 


 

[1] Pour une retranscription du discours d’Hillary Clinton : http://www.cfr.org/publication/18225/transcript_of_hillary_clintons_confirmation_hearing.html

[2] http://www.international.ucla.edu/article.asp?parentid=34734

[3] Laïdi, Lanvaux, Les secrets de la guerre économique, Seuil, 2004, pp113-117

[4] Question d’Europe  n°127, 9 février 09, p03

[5] http://www.foreign-policy.fr/Redonner-ses-lettres-de-noblesse.html

[6] Pour une biographie plus complète de Suzanne Nossel : http://www.americanprogressaction.org/aboutus/staff/scholars/NosselSuzanne.html

[7] Nossel, cité par Charmelot dans Question d’Europe, op.cit. p04

[8] http://www.lefigaro.fr/international/2009/04/23/01003-20090423ARTFIG00344-la-diplomatie-americaine-entre-ouverture-et-fermete-.php

[9] http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2009/04/20/pour-la-presse-le-sommet-des-ameriques-marque-l-emergence-de-la-doctrine-obama_1182781_3222.html

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